Achat d'actions pour usage exclusif d'un logement

Il existe un mode d’acquisition immobilière que les courtiers immobiliers doivent connaître. Par ce procédé, parfois appelé « titrisation », un acheteur acquiert, d’une part, un certain nombre d’actions d’une société (anciennement appelée compagnie) dont le principal actif est un immeuble, et, d’autre part, en vertu d’une entente de location indissociable de la convention d’acquisition d’actions, l’usage exclusif d’un appartement en particulier dans cet immeuble. Détenant tous les droits d’usage de cet appartement, l’acheteur peut, en principe, l’occuper ou le louer. Dans ce type de transaction, l’acquisition des actions est donc indissociable du droit d’occuper un appartement spécifiquement lié aux actions acquises.

Surtout présent dans les grandes villes, ce mode d’acquisition immobilière a été développé par les promoteurs immobiliers pour, notamment, contourner les difficultés liées aux restrictions à la conversion d’immeubles locatifs en copropriété divise (condominium). La détention d’actions avec droit d’usage d’un appartement peut, en pratique, présenter des similarités avec la copropriété divise d’un immeuble (usage exclusif d’un appartement, convention et règlement régissant les droits et obligations des propriétaires ou locataires). L’acquisition de telles actions ne doit toutefois pas être confondue avec l’achat d’un appartement en copropriété et il est important qu’un acheteur comprenne bien ce qu’il acquiert.

En 2005, dans l’affaire Carrigan, la Cour d’appel a précisé la nature des liens unissant l’acheteur des actions de la compagnie propriétaire de l’immeuble avec, d’une part, cette compagnie et, d’autre part, le locataire de l’appartement lié à ces actions.(1) Les faits de cette affaire se résument comme suit : en 2001, un acheteur acquiert les actions que détient le vendeur dans Les Appartements Port-Royal inc., une compagnie propriétaire de l’immeuble du même nom. La propriété de ces actions lui confère le droit d’occuper l’un des appartements de cet immeuble. De façon concomitante, l’acheteur signe avec Port Royal un contrat intitulé « bail en propriété ». À cette époque, l’appartement est loué à un tiers en vertu d’un bail que le vendeur lui avait consenti. Mis au courant de la situation, l’acheteur s’engage à respecter le bail jusqu’à son échéance. Quelques mois après l’acquisition, s’estimant propriétaire de l’appartement, l’acheteur avise le tiers qu’il désire reprendre le logement au terme du bail afin de l’habiter lui-même. Le tiers refuse de quitter les lieux, invoquant son statut de locataire et son droit au maintien dans les lieux prévu au Code civil du Québec.

Pour trancher le litige, la Cour devait répondre aux deux questions suivantes :

1) l’acheteur est-il devenu propriétaire de l’appartement?

2) le tiers est-il un locataire ayant un droit au maintien dans les lieux au sens du Code civil du Québec?

Selon la Cour, la détention des actions de Port Royal n’équivaut pas à la propriété de l’appartement. Port Royal demeure propriétaire de l’immeuble. Le « bail en propriété », conférant la jouissance exclusive d’un logement dont l’acheteur n’est pas propriétaire fait de ce dernier un locataire au sens du Code civil du Québec. Dès lors, l’acheteur ne pouvait exercer le droit à la reprise du logement en invoquant sa qualité de propriétaire de l’immeuble, ce qu’il n’était pas. Toutefois, la Cour conclut que le tiers ne peut bénéficier du droit au maintien dans les lieux. En effet, le détenteur des actions de Port Royal étant locataire de l’appartement, le bail conclu avec le tiers en était un de sous-location. Or, le Code civil n’accorde pas de droit au maintien dans les lieux à un sous-locataire.

Se fondant sur cette décision de la Cour d’appel, la Cour du Québec, dans l’affaire Beauregard c. Kovac(2), conclut également à l’absence d’un droit de propriété à l’égard du logement faisant l’objet d’un « bail en propriété ». Dans cette affaire, les acquéreurs des actions avec droit d’habitation voulaient faire valoir l’application de la garantie de qualité pour vices cachés à l’égard du foyer se trouvant dans le logement qu’ils habitaient. Puisque les actions, et non l’immeuble, constituent l’objet de la vente à l’égard de laquelle les acheteurs réclament l’application de la garantie de qualité, la Cour s’est demandée si ce type de vente est assujetti à cette garantie.

Établissant que les actions détenues sont des biens incorporels, la Cour conclut que la garantie de qualité ne saurait s’appliquer ni à leur égard, ni à l’égard de l’immeuble, empêchant ainsi les acquéreurs d’adresser un tel recours à l’endroit du vendeur des actions. La Cour précise par contre que la qualité de locataire des acheteurs leur permettrait de s’adresser à la compagnie, propriétaire de l’immeuble et locateur, sur la base des droits que leur confère le Code civil à ce titre.

Le courtier immobilier impliqué dans ce type d’acquisition immobilière devra bien informer son client acheteur de ce qu’il acquiert et de ce qu’il n’acquiert pas. Ce qui est acheté ce sont les actions d’une compagnie propriétaire d’un immeuble auxquelles est lié un bail permettant l’usage exclusif d’un logement dans cet immeuble. L’acheteur ne devient donc pas propriétaire de l’appartement qu’il pourra occuper, mais un locataire, détenteur d’actions, ce qui, dans certaines circonstances, est susceptible de moduler les droits qu’il détient et la façon de les exercer.

(1) Carrigan c. Cour du Québec, 2005 QCCA 589.
(2) Beauregard c. Kovac, 2009 QCCQ 5576.

 

Dernière mise à jour : 27 juin 2019
Numéro d'article : 122368